Les Terres de Séménil

"... Nous voilà sur mes terres, on se sent chez soi. Ce sont les terres que je cultive. On est dans son milieu, dans ses senteurs. On a les pieds dans la boue mais on se sent bien. Il y a une légère brume à l'horizon. On découvre ici un paysage unique sur des kilomètres de long avec un bois tout autour qui fait 270° au moins. On a l'impression d'être seul mais il y a toute une série de maisons qu'on ne voit pas au premier coup d'oeil. Il faut vraiment bien regarder et vous en apercevrez un peu tout partout. Les gens - et c'est ça cette qualité de vie que les nouveaux ruraux ont bien compris - peuvent se dire qu'ils sont seuls, en famille chez eux. Mais en même temps, pas loin des autres. Tout est discret, tout est harmonieusement bien mis. On pourrait presque dire "c'est le bonheur". Ce paysage, ça fait 50 ans que je le connais. C'est un paysage qui est en continuelle évolution. Il bouge. 

Les arbres grandissent. On en abat et d'autres repoussent. Il y a au printemps des couleurs qui arrivent, d'autres en été, en automne, cette couleur rouge et cette couleur or. En hiver, les branches sont là qui prennent d'autres formes. Je découvre tout le temps ! Quelquefois en voiture, je me dis : "je prends tous les chemins à droite". Cela me mène je ne sais pas où mais je les prends. Vous ne pouvez pas vous imaginer le nombre de coins qu'on découvre. Pourtant je vous l'ai dit, ça fait 56 ans que je vis par ici et toujours à découvrir, à la limite même sur place. Un peu de brouillard, un nuage, un rayon de soleil qui se donne d'une certaine façon et vous avez un autre paysage, d'autres couleurs, des ombres. Tout est différent d'un instant à l'autre. 

Avant d'arriver chez nous à la ferme, il y a des prairies de chaque côté du chemin et des bois devant, l'église du Grand Monchau dont on voit le clocher à travers le bois. Sur la gauche, l'arbre Saint-Pierre ainsi qu'une partie du centre d'Ellezelles. La ferme de mon voisin qui fait partie du groupement de production de blé. Il en a semé aussi et nous travaillons assez bien ensemble. Avec les anciens, ça tourne toujours malgré qu'ils commencent à représenter un pourcentage de moins en moins grand. Je pense qu'actuellement, il doit rester 50% des maisons occupées par des anciens. 


Mono ou multi-culture ?

En temps qu'ancien et actuel habitant, nous avons un devoir quelque part de rentrer en contact avec les nouveaux ruraux. Nous  avons cette obligation pour égoïstement apprendre qu'il existe autre chose, d'autres gens, d'autres réflexions et points de vue. Je pense que nous ne pouvons pas rester dans une forme de ce que moi, j'appelle la monoculture. Ca veut dire une pensée unique qui est la nôtre, qui est la meilleure - soit disant la meilleure - qu'il n'y a rien de mieux. Je pense au contraire que c'est une position de faiblesse d'avoir peur d'affronter d'autres cultures, d'autres réflexions, d'autres philosophies. Maintenant, les rencontres se font toujours avec des risques. Des risques aussi bien de bonheur, de jouissance de la rencontre ou alors des risques d'une déception, d'un refus. Je pense que le pire de tout, c'est l'indifférence vis-à-vis des nouveaux. L'indifférence, ça veut dire le mépris et ça je ne suis pas pour.

 



La clé sur la porte

Quant aux nouveaux habitants, j'ai pratiquement des rapports avec tous parce que je suis très curieux d'apprendre, de connaître l'autre. Pour une bonne partie des maisons du "Petit hameau" - situé en bas du Séménil -, les clés sont ici chez moi et c'est moi qui m'en occupe un peu. J'ai mon beau-fils qui est jardinier la journée à la commune d'Ellezelles et le soir à son propre compte. Il fait des jardins pour les nouveaux et me demande assez régulièrement un coup de main pour emprunter un tracteur, pour faire des travaux s'ils sont plus importants. C'est comme ça que je suis en rapport un peu avec tout le monde. Dans le quartier, il a été question qu'on puisse bâtir. Une firme néerlandophone avait demandé un permis d'urbanisation. Nous nous sommes mis, aussi bien anciens que nouveaux, à écrire une lettre aux décideurs (le Parc naturel, l'Administration communale d'Ellezelles) pour leur demander si c'était bien judicieux de galvauder un tel paysage au nom d'une urbanisation qui risquerait d'arriver à outrance. Le projet ne s'est pas concrétisé. Egoïstement si nous avions laissé bâtir, nous aurions vendu des terrains à 600.000 €. Financièrement intéressant, mais nous serions passés à côté de la tranquillité, d'une chaleur de vie et d'une forme de bonheur de contact avec tout le monde.

 

 Suite